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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

quand vous v’nez m’dire que vous trouvez pas vote montre à vote goût.

— Ben, pour des noces d’or, il me semble que t’aurais pu me donner ane montre en vrai or.

— Oui, vous pensez ? Ben moé, j’vas vous l’dire. Alle est assez bonne pour vous.

— Ben, moé, j’vas t’dire ane chose. C’est qu’ane fille comme toé qui loue le bas pour nourrir le haut, c’est pas ben drôle.

— Si j’sus pas drôle, c’est toujours ben d’vot faute. Qui est-ce qui m’a engagée à quatorze ans pour laver les planchers et les crachoirs dans un restaurant ? C’est vous. C’est vous et vous m’avez vendue. Vous veniez chercher mes gages et vous me laissiez même pas un sou pour m’habiller. Pis, si j’sus pas drôle, vous êtes tout d’même venu m’en demander assez souvent d’l’argent depuis que j’sus en maison. Même qu’avec c’que je v’nais d’vous donner, vous vouliez monter avec la grosse Angèle.

— Si on peut dire ! J’badinais, j’faisais des farces. C’était un compliment, ane politesse que j’faisais à ane de tes amies. C’était pour rire. Pis, tu sais, si t’es pas contente, tu peux y r’tourner dans ton boucan.

— Ben certain que j’vas y r’tourner et pas plus tard que tout d’suite. Mais mettez-vous jamais dans la tête de venir rien me d’mander de nouveau. C’est fini ça. Ben, j’m’en vas, et chose sûre et certaine, je remettrai jamais les pieds ici.

Et se levant brusquement de table. Emma courut chercher son manteau et son chapeau déposés sur le lit, dans la chambre, et sortit en jetant un regard de haine à son père.