Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

L’on se mit à table, mais le père était taciturne. Le fils déboucha l’un des flacons et tout le monde prit un coup.

— J’en prendrais ben un autre, fit le père.

Et de nouveau, les verres furent remplis et vidés.

L’on mangea et l’on causa. Puis l’on prit d’autres verres de gin.

Le repas était maintenant fini. L’on restait assis à table et le père Mattier examinait sa montre sur ses deux faces et la portait à son oreille pour écouter son délicat tic-tac.

— Ben, papa, vous aurez plus besoin de r’garder le soleil pour savoir l’heure, fit Eugène.

Mais le père soucieux regardait longuement sa montre, mais il pensait à l’hypothèque qui deviendrait due à la Toussaint.

— Ben, c’est-i ane montre d’or ? demanda-t-il soudain.

— J’vas vous dire. Alle est dorée et alle paraît comme de l’or, répondit Emma, faut pas m’en demander plus. C’est tout c’que j’ai pu faire.

Mais le père était tracassé par l’idée de l’hypothèque et, après les verres de gin qu’il avait avalés, il avait l’humeur mauvaise et il éprouvait le besoin de se disputer.

— Ben, pour c’que ça t’coûte pour le gagner l’argent, j’peux pas dire que tu t’es forcée, fit-il agressif.

— Mais s’il fallait que j’compte tout l’argent que j’vous ai donné, c’est pas ane montre, c’est ane horloge en or massif que j’vous aurais apportée, répondit Emma, cinglée par cette injuste attaque.

— C’est ça, reproche le p’tit brin d’aide que t’as donné à ton père.

— J’vous reproche rien. J’dis seulement c’qui en est,