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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Tout en travaillant sur sa terre, le père Mattier pensait souvent à ses enfants qui avaient mal tourné. Il pensait aussi aux hypothèques…

Puis, il était vieux. Il avait perdu les forces, le courage, l’ambition. Il avait les cheveux gris, la figure tannée, ridée, maigre, et il avait un petit œil, le droit, qui ne restait qu’à moitié ouvert.

Mais il avait des tracas et plus que jamais, il était violent, dur et irritable.

En septembre, il fêterait ses noces d’or et il recevrait quelques présents. Et l’idée des cadeaux le distrayait.

— Tu sais, ça va faire cinquante ans le 20 septembre qu’on est mariés ta mère et moé, Dis on va fêter nos noces d’or, annonça-t-il à Mélanie, après qu’il eut dîné aux frais de sa fille dans la sordide gargote de la rue Craig.

— Oui ? Ben, on ira vous voir. Ce sera le 20 septembre ?

— Le 20 septembre. Tu l’feras savoir à tes sœurs et à ton frère.

— Oui, oui, c’est ça.

Et le vieux retourna chez lui.

À une semaine de là, le vieux Mattier reçut une communication qui produisit en lui une profonde perturbation. C’était un avis du notaire l’informant que la troisième hypothèque, au montant de six cents piastres, renouvelée tacitement depuis dix ans, devrait être payée à la Toussaint. Le prêteur était mort et l’on avait besoin de l’argent pour régler la succession. Les six cents piastres il ne les avait pas et il savait qu’il ne pourrait les trouver. Emprunter à nouveau, ce n’était plus possible, car la valeur des terres avait diminué. Alors ? Et le désastre, la catastrophe, apparut au vieux fermier. Toute sa vie, il avait travaillé