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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Lorsqu’Emma, l’aînée des filles avait eu quatorze ans, le père assuré qu’elle pourrait gagner quelqu’argent s’était pressé d’aller lui trouver une place de servante. Il l’avait engagée à la ville dans un restaurant où elle lavait la vaisselle, les planchers et les crachoirs. Et chaque mois, le père venait retirer ses gages qu’il empochait jusqu’au dernier sou.

Ensuite, ce fut le tour de Mélanie. Il la plaça chez un couple âgé, un hôtelier retiré des affaires qui vivait avec une vieille maîtresse. Là encore, il passait régulièrement chercher l’argent qu’elle gagnait. Ensuite, ce fut Rosalie, la plus jeune des trois qui partit. Le père Mattier retirait maintenant les gages de ses trois filles.

Lorsque les travaux ne pressaient pas trop, le père louait son fils Eugène chez les voisins, mais allait lui-même se faire payer ses journées.

Un jour, le fils fatigué de ce régime, s’était fâché, était parti. Il s’était dirigé vers la ville où se trouvaient ses sœurs. Par nécessité, il avait volé. La première fois, il avait dérobé la montre d’un pensionnaire dans la maison où il logeait. Il avait été arrêté et envoyé en prison pour quinze jours. Une deuxième fois, il avait pris une sacoche dans un auto. Cette fois, il avait passé deux mois à l’ombre, comme disent les journaux.

Le père Mattier était maintenant seul pour faire ses travaux. Il continuait d’aller chercher les salaires de ses trois filles et de vendre les produits de sa ferme. Il réalisait de bons montants, mais il était maladroit, sans dessein, malchanceux.

Une fois, sa grange et sa remise avaient brûlé à la fin de l’été, avec toute la récolte de l’année et un bonne partie des instruments aratoires.