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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

nier où l’on gardait la farine, le tabac, les pois et le blé d’Inde pour la soupe. Le toit avait constamment besoin d’être réparé car l’eau des pluies passait à travers, à maints endroits. Les trois filles couchaient dans un sofa, une large caisse qui se repliait et que l’on fermait le jour. Pour le garçon, il dormait tout simplement sur la peau de buffle qui servait l’hiver au père pour se protéger contre le froid lorsqu’il allait au marché, à la ville.

Parfois, le père Mattier faisait des rêves.

— Quand on aura fini de payer la terre, disait-il, on se fera bâtir ane belle maison en briques avec des chambres en haut.

Pour eux, ces chambres d’en haut représentaient le dernier mot du luxe et du confort.

Naïfs, crédules, les enfants croyaient cela ferme. Ils oubliaient un moment leur vie de misères et de privations, voyaient déjà en imagination la belle maison en briques avec ses chambres en haut.

— Ben, moé j’coucherai dans celle d’en avant, pis j’mettrai des crochets pour mes robes, déclarait Mélanie.

Elle était en guenilles à ce moment, mais sûrement lorsque la maison de briques serait construite, elle aurait des robes.

Et alors, la mère elle-même, aussi simple, aussi innocente que ses petits, voyait la bienheureuse maison. Ce qu’elle était belle ! Il ne fallait pas l’endommager, salir les pièces.

— Descends de la chambre d’en haut ! Que je ne te voies pas dans la chambre d’en haut ! criait-elle, fâchée à Mélanie.

Ces imaginaires chambres d’en haut c’était son salon. Il ne fallait pas y entrer, y mettre les pieds.