LES NOCES D’OR
L y aurait bientôt cinquante ans que les époux Mattier,
fermiers dans le rang du Carcan, près de Chambly,
étaient mariés. Comme les Huneau, leurs troisièmes
voisins, avaient célébré à l’été leurs noces d’or et qu’ils
avaient reçu de riches cadeaux de leurs parents, le père
Julien Mattier crut qu’il serait opportun de fêter le cinquantenaire
de son mariage avec Amanda Level, la fille de
l’ancien forgeron. Et lorsqu’il disait fêter, ce n’était pas
faire bombance et célébrer joyeusement qu’il avait dans
l’idée, car il était d’une grande frugalité. En plus, il était
pauvre, avait toujours été pauvre et les siens l’étaient aussi.
Mais il voulait réunir ses enfants qui, pour la circonstance,
lui apporteraient sûrement quelques présents. Jamais il
n’avait manqué d’accrocher tout ce qu’il pouvait. L’occasion
se présentait belle. Il fallait en profiter. Ayant donc
décidé en lui-même de cette réunion de famille, il alla en
dire un mot à sa fille Mélanie qui cuisinait des soupes et
des tartes au fond d’un quick lunch de pauvres, de la rue
Craig, à Montréal. Chaque fois qu’il allait en ville, vendre
ses produits au marché, il allait la voir, histoire de dîner
sans bourse délier. Il mangeait, puis : Ma fille paiera,
disait-il au patron.