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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Mais, madame, fit le médecin d’un ton de reproche, c’est ici qu’il devrait passer ses jours votre grand garçon. Ici, au moins, il aurait de l’air, de la lumière. Vous devriez transporter son lit ici.

— Faudrait qu’il couche dans le salon ! s’exclama d’un ton consterné Mme Prouvé.

— Mais, madame, on dirait une pièce faite spécialement pour remettre un malade en bonne santé. C’est épatant, disait le médecin en tournant à droite et à gauche et en goûtant tout le bien-être de cette vaste chambre ensoleillée. Vous rappelez-vous, madame. continua-t-il, d’avoir lu dans l’Évangile la parabole de celui qui, ayant reçu un trésor, l’enterra par crainte des voleurs ? Eh bien, en fermant cette pièce pour mettre vos meubles à l’abri du soleil qui peut les déteindre, vous enterrez votre trésor. Faites le fructifier. Ouvrez votre salon et mettez-y votre fils malade.

Ce vieux médecin était un philosophe et il avait glané la sagesse dans Socrate, Confucius, Jésus, le bonhomme Lafontaine, Omar Khayyam et autres et il aimait citer leurs préceptes, leur enseignement.

— La santé, continua-t-il, ça ne s’achète pas en flacons ni dans des boîtes de poudre ou de pilules. Ces remèdes peuvent aider la nature, mais l’air, le soleil, les aliments fortifiants, une vie régulière, c’est ce qu’il y a de meilleur.

Debout à côté de la table, Mme Prouvé l’écoutait et, machinalement, pendant qu’il parlait, essuyait du coin de son tablier carreauté une tache invisible sur la planche d’acajou. Puis, du bout de son index humecté sur la langue, elle frottait lentement le bois, pour faire disparaître la tache imaginaire.