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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Elles l’énervaient et il les ennuyait prodigieusement. Heureusement, Louis arriva avec l’auto. Ils prirent le chemin de Sainte-Rose. En route, Louis arrêta sa voiture au bord du chemin, dans un endroit désert et éteignit les lumières. Lui et sa compagne ne paraissaient pas s’ennuyer mais il en était autrement sur le siège d’arrière. Tout P’tit n’était pas fringant, plutôt endormi. Peu habituée à ce genre de galant, la fille était franchement abrutie. Elle tenta de le secouer, mais son manège rappelait trop à Tout P’tit le frère Alain, au collège, et il demeura figé. En avant, les deux autres ne se gênaient guère et Tout P’tit se sentait mal à l’aise. Finalement, l’on repartit.

— J’ai faim, je mangerais bien une salade de poulet, annonça l’une des filles comme l’on arrivait à Sainte-Rose.

— Oui ? ben, j’vas te payer un hot dog si ça fait ton affaire, répliqua Louis. Tu penses pas que j’ai dévalisé une banque aujourd’hui ?

L’on prit un hot dog. Comme Tout P’tit n’avait pas faim, il abandonna le sien à sa compagne qui, elle, ne manquait pas d’appétit.

L’on revint.

Comme l’on se séparait, Tout P’tit entendit sa compagne qui disait à Louis :

— Coûte donc, toé, à quelle place que tu l’as déterré ce numéro-là ? A-t-il les mains gelées ? Pis, c’est-il un cassé ou un peigne ? Tâche d’en trouver un autre, hein, lorsque tu voudras sortir avec nous autres.

Tout P’tit ne fut plus tenté de s’amuser avec des filles. D’ailleurs, Louis ne l’invita plus.

Quelques années de sa jeunesse s’écoulèrent. Déjà, il était dans ses vingt-deux ans, mais il paraissait plus vieux. Il avait un grand nez décharné, une figure blême où le sang