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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Finalement, il avait renoncé à ce métier et s’était mis sous le secours direct.

Eh bien, décidément, ils n’étaient pas à plaindre les Rabotte. L’oncle, les neveux, la nièce, ils savaient tirer leur épingle du jeu, éviter de se donner du mal, ce qui est la grande sagesse moderne. À quoi bon travailler quand on peut vivre à rien faire ? Seuls, les ambitieux, les orgueilleux, ceux qui veulent dominer les autres persistaient à la tâche. Tant pis pour eux s’ils échouaient.

L’on mangeait, l’on buvait, l’on causait quand la cloche sonna. C’était Mlle Rosalba Périer, l’une des nièces de la tante Clara qui arrivait à son tour. C’était une petite personne blonde de trente ans environ, d’apparence gentille et plutôt jolie. Après avoir fait un cours complet au couvent, elle avait suivi pendant un an les classes d’un business college. Après cela, elle s’était mise à travailler, puis ses parents étaient morts. Depuis cinq ans, elle était la secrétaire du gérant d’une grande distillerie. Toujours, elle s’était montrée d’un caractère fort indépendant. Elle gagnait sa vie, agissait à sa guise et demeurait seule dans un appartement qu’elle s’était loué. En elle-même, elle méprisait cette famille de Rabotte, cette race de parasites et de fainéants, mais à cause de sa tante elle n’en laissait rien paraître. Eux se montraient très familiers avec elle. René qui la sentait fière, distante, se mit à la taquiner.

— Ben, à quoi ça te sert ton instruction ? Ça vaut pas grand’chose. Tu travailles, pis tu paies toutes sortes de taxes. Moé, j’sais rien. Nous autres, on est des ignorants, mais la manne nous arrive, elle tombe pour nous. Pis, on n’a pas la peine de travailler. On mange, on fume, on se croise les bras, on joue aux cartes, on dort. Moé, quand j’sus malade, je reste couché et il n’y a pas de patron qui