Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

réduit grand comme une table, sans fenêtre, une place pour un chien, mais il me faut payer une piastre par semaine pour ce gîte. Chaque samedi, il faut que je paie, autrement on me mettrait à la porte.

Rabotte considérait la vieille avec une calme indifférence. Elle poursuivit :

— J’ai été institutrice et j’ai bien travaillé, mais aujourd’hui, je suis sans ressources. Oui, autrefois, le dimanche, en plus de mes cours, j’avais une classe de catéchisme. Je me suis dépensée. Qu’est-ce que cela m’a donné ? Rien. Dans les siècles passés, un corbeau apportait chaque matin un pain à saint Jérôme et à d’autres anachorètes du désert.

— Ça, c’est pas de not’temps, remarqua Rabotte qui ajouta en lui-même : Elle est un peu braque.

Sans paraître remarquer son interruption, l’étrangère continua :

— Moi, je dois mendier de porte en porte. Aujourd’hui, les pouvoirs publics nourrissent la masse des indigents, mais quelques-uns qui le méritent le plus, qui en ont le plus besoin sont exclus du secours. À ceux-là, on leur refuse assistance. Ni Dieu ni les hommes ne viennent à leur aide. Ah, j’ai bien prié ! J’ai mis ma confiance en Dieu, mais je me demande s’il nous entend. Il n’a pas l’air de s’occuper de moi. Ah, c’est bien dur de prier et de ne pas être exaucé ! Je me demande parfois si Dieu se soucie de nos misères, s’il s’occupe de nous. On dirait que lui aussi a ses préférés. Puis, le ciel c’est loin, bien loin. Peut-être qu’il ne nous voit pas.

Et fouettée par la bise qui mordait sa pauvre chair à travers ses minces vêtements, glacée jusqu’aux os, abattue, découragée, chevrotante, lamentable, la vieille femme à