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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Comment veux-tu que je devine ? Il a des idées tellement baroques.

— Eh ben, il m’a demandé de poser son tuyau de poêle. Hein, pourquoi se gêner ? Non, mais ces gens-là ça s’imagine que parce qu’on est chômeurs, ils vont nous faire laver leurs planchers. Ils ne doutent de rien.

— Qu’est-ce que tu as répondu ?

— J’ai répondu qu’il en engage un autre.

— T’as ben fait. Mais, sais-tu ce qu’il va faire ? Il va le poser lui-même ce soir avec sa femme. Il est ben trop avare pour demander un plombier.

Au cours de l’hiver, un matin qu’il faisait grand froid, et qu’un vent cinglant soulevait la neige et la faisait tourbillonner au-dessus des maisons et dans les ruelles, Rabotte se heurta en arrivant au bureau de secours à une vieille femme de soixante-cinq à soixante-huit ans qui sortait de là et qui descendait les degrés de l’escalier. Coiffée d’un méchant feutre déformé d’où s’échappaient des mèches de cheveux blancs, elle était toute frêle, maigre, pitoyable. Son pauvre corps était enveloppé d’un mince manteau marron garni d’une fourrure déteinte, jaunie, pelée, d’un léger manteau d’automne à travers lequel passait la bise mordante.

— Qu’est-ce que vous pensez de ça ? dit-elle en l’abordant, comme ils se croisaient. Ils refusent de me venir en aide. Ils disent que je suis trop vieille. Je n’ai pas un sou et je suis seule. J’ai un fils, mais ça fait quinze ans que je suis sans nouvelles de lui. Je ne sais où il est, j’ignore même s’il est vivant ou mort. Pour dire la vérité, je connais des gens qui ne me laisseront pas mourir de faim, qui me donneront bien à manger de temps à autre, mais il me faut payer ma chambre. Je dors dans un petit