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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

priétaire, il travaillait à un bon salaire dans une compagnie d’assurance. Mais ce n’était pas assez et le soir, il faisait chez lui des travaux de comptabilité pour des commerçants des environs. Cela pour ajouter à son revenu. Et sa femme travaillait dans un salon de coiffure. Ils s’étaient acheté une maison de six logements les Aurélier et ils voulaient la payer. Bien sûr que c’étaient des ambitieux ces gens-là. Et ils ménageaient, ils ménageaient furieusement pour payer les intérêts, les taxes, les assurances, les réparations, et les paiements lorsqu’ils devenaient dus. Dire que lui, Aurélier, au lieu de s’en aller se reposer pendant quinze jours au bord d’un lac dans les Laurentides, il passait le temps de ses vacances à peinturer sa maison, à refaire la clôture de sa cour ou à remplacer l’escalier extérieur qui avait fait son temps. Est-ce qu’il n’aurait pas pu faire exécuter ces travaux par un peintre ou un charpentier-menuisier ? Est-ce qu’il ne faut pas que tout le monde vive ? Qu’est-ce qui arriverait si l’on faisait toujours tout le travail soi-même ? si l’on n’employait jamais personne ? Lui, René Rabotte, il ne gagnait pas gros et il travaillait dur, mais il tâchait de vivre comme le monde. Le dimanche et parfois le soir, lui et sa femme allaient au cinéma, ils allaient voir des amis et les recevaient, puis, au mois d’août, ils partaient pour le Lac Tremblant ou Shawbridge et, pendant deux semaines, ils se baignaient, ils se reposaient, ils dansaient et se distrayaient. Invariablement, alors, l’on était en retard pour le loyer, mais Rabotte n’était pas embarrassé pour si peu. Le propriétaire, il pouvait attendre. Ces Aurélier, ces gens qui travaillaient et ne dépensaient rien, ils étaient bien pressés de réclamer leur dû pensait Rabotte. Mais l’argent lui, ne se hâte pas d’arriver et il faut attendre de l’avoir pour payer. Alors,