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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

dû subir une opération. Ainsi, pas de lourdes charges à soutenir. Une vie facile. En se mariant, il se loua un petit logis de quatre pièces qu’il meubla à crédit. Puis voilà que le père Bougie prit l’un de ses neveux avec lui pour lui succéder un jour. Rabotte se trouva de nouveau sans place. Et pas d’économies. Ce fut une dure passe. Les propriétaires des meubles n’étant pas payés, vidèrent la maison. Toutefois, sa femme trouva à s’employer dans un restaurant et l’on put vivre. Quatre mois s’écoulèrent, puis René entra à l’épicerie Lareau. En lui-même, il reconnaissait que c’était dur de se remettre au travail. Quand on a pris l’habitude de se lever à neuf ou dix heures, de flâner dans son lit, d’aller où l’on veut, c’est pénible de s’atteler de nouveau à une besogne régulière, de s’arracher des draps à six heures au son hostile du réveille-matin, de balayer le magasin, de grimper des escaliers avec de lourds paniers de provisions, de se hâter vers midi porter des boîtes de soupe que les ménagères attendent avec impatience pour le dîner de leur mari, de ne jamais arrêter et cela, pour un petit salaire.

Souvent, dans ses courses rues St-Hubert ou Cherrier, il voyait des rentiers qui, le matin, l’été, s’installaient confortablement dans un fauteuil en avant de leur maison, le dos appuyé au mur et passaient là la journée à fumer la pipe ou le cigare en digérant paisiblement ou en causant avec un voisin aussi fortuné. Pas de travail, pas de préoccupations. Dormir, manger, se reposer, laisser couler les heures. Dire qu’il y a des chanceux qui peuvent vivre cette vie-là ! Puis, penser qu’il y en a qui pourraient mener une belle existence, s’offrir des distractions, se payer de l’agrément et qui au lieu de cela, se donnent un mal de chien. N’est-ce pas stupide ? Ainsi, M. Aurélier, son pro-