Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

teau, avec un groupe. Jamais, elle n’est allée plus loin. Lui, il n’est jamais sorti de Montréal. Un soir, en revenant du travail, il a trouvé un porte-monnaie contenant un fort montant et aussi l’adresse du propriétaire sur une carte. Honnêtement, il lui a rapporté son bien, comme l’ordonnent les commandements de l’église. Alors, le riche, devant lui, qui avait plutôt la mine d’un accusé, a compté les billets de banque en le regardant d’un regard froid, inquisiteur. Puis, constatant que le montant était bien exact, il a congédié son humble visiteur avec un : « C’est bien, mon brave. » Alors, le pauvre est reparti un peu désappointé, car il s’était dit en lui-même que s’il recevait cinq piastres de cadeau, il s’achèterait une pipe d’écume de mer.

Pendant le temps qu’il a travaillé, ils ont déménagé quatre fois, la troisième fois, parce que la maison était infestée de coquerelles. Un jour, en voulant prendre le tramway, l’hiver, il a glissé sur la glace et il a failli se faire écraser une jambe. Il a eu simplement la peur, mais il n’a jamais oublié cela.

Elle, elle était de constitution frêle, délicate. Elle a été souvent malade, mais les religieuses qui l’hospitalisent maintenant lui disent qu’elle se rendra à cent ans. Elle se demande si c’est un reproche. Quand on est pauvre, vieux, sans soutien, on ne devrait pas vivre si longtemps.

Lui, avec les années, ses forces diminuaient lentement. Il ne pouvait plus fournir la même somme de travail. Puis, il paraissait vieux, il était vieux, et cela militait contre lui. Un jour, le contremaître lui avait signifié son congé : « Huneau, je n’ai plus besoin de vous ; vous pourrez rester chez vous. »

C’était ainsi. Il était resté à la maison. Sa vie de travailleur était finie. Il ne pouvait plus gagner d’argent,