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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Ensevelie comme ça, mouman pourra partir sans nous faire honte. Ça n’empêche pas que j’aurais mieux aimé m’acheter un chapeau. J’en ai vu des beaux chez Robillard. Pis, tu sais, moé j’voudrais ben retourner à ma place pour le Jour de l’An.

— Oui, rétorqua Zéphirine, et moé, j’pense qu’avec cet argent-là j’aurais pu me payer deux belles paires de bas de soie.

Elles allèrent voir la vieille. À leur entrée dans la chambre, la mère tourna péniblement la tête de leur côté.

— On dirait qu’elle prend du mieux, remarqua Délima.

— Le docteur est v’nu cet avant-midi, pis il lui a fait ane piqûre au bras. Ça l’a réveillée. Je crois qu’il est temps de lui faire prendre ses remèdes.

Ce disant, Zéphirine versa une dose de la drogue et la fit avaler à la malade.

La journée se passa.

Le soir, Paul et Ti Fred arrivèrent à la maison à moitié ivres. Le fermier Bardas leur fit une verte semonce, mais les fils avaient la couenne dure.

— C’est l’temps des fêtes, hein ? déclara Ti Fred. On peut pas refuser un coup quand on nous fait des politesses.

— Mais quand la mère se meurt, c’est pas le temps de fêter, fit Bardas sévère.

— C’est pas ça qui la f’ra mourir. Pis on fêtera jamais plus jeune, son père, riposta Paul.

La limite de deux jours prédite par le docteur Casimir était maintenant passée et la mère Caroline n’était pas encore morte. Le lendemain, elle prit encore ses remèdes. Même, elle reconnut son mari et ses filles. Trois autres longues journées s’écoulèrent sans changement, sans évène-