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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Le lendemain, comme le fermier Bardas finissait de prendre son thé, Délima l’interpella :

— Écoute son père, tu vas atteler et on va aller au village chercher ane robe pour ensevelir mouman.

Une heure plus tard, le père et la fille partaient en berlot.

Pendant leur absence, l’on frappa à la porte. C’était le médecin qui, étant allé voir un autre malade, arrêtait en passant.

— La vieille n’est pas encore morte ? interrogea-t-il en entrant.

— Non, mais ça ne tardera pas, répondit Zéphirine.

Le docteur Casimir déposa sur une chaise sa sacoche en cuir noir, son bonnet en loutre et son capot de chat sauvage, puis pénétra dans la chambre de la mère Bardas. Toujours la même vieille figure, maigre, brune, ridée et édentée sur l’oreiller sale.

— Tu lui as fait prendre ses remèdes comme je te l’avais dit ? demanda-t-il à la fille qui l’avait suivi auprès du lit.

— Alle veut pas en prendre. Alle les crache sur le couvre-pieds, répondit Zéphirine.

L’air sévère, fâché, le médecin la regarda en face.

— Écoute, ma fille, il ne s’agit pas de savoir si elle veut ou ne veut pas en prendre. C’est pas une farce ; c’est sérieux. C’est la vie de ta mère qui est en jeu. Vous venez me chercher pour un malade. Je prescris des remèdes et vous ne prenez pas la peine de les administrer. Dans ce cas-là, c’est pas la peine de me déranger. Vas me chercher mon sac sur la chaise.

Puis, prenant la main de la vieille, il lui tâta le pouls.