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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

service. Pis, c’est-il pour longtemps qu’tu pars ? demanda-t-il à la bonne.

— Ben certain qu’c’est pas pour longtemps. L’docteur dit qu’alle en a pas pour deux jours.

— Puisqu’i faut, vas-y, concéda le patron.

En route, Délima se demandait si elle trouverait sa mère vivante. Si elle était morte, elle pourrait alors retourner pour le Jour de l’An à la taverne où elle se ferait bien un beau cinq piastres avec les pourboires des clients. Comme ça, ce serait pas trop mal.

Toutefois, la vieille Caroline respirait encore. Maigre, jaune, ridée, édentée, elle était une loque humaine dans son vieux lit à couvre-pieds d’indienne formé de multiples petits morceaux multicolores. La mère était encore en vie, mais elle ne parut pas reconnaître sa fille.

— Ben vrai, ça s’ra pas long, déclara celle-ci. J’cré ben qu’à s’ra pas vivante demain matin.

Alors, elle monta au grenier le gramophone qui était dans la salle à manger afin de commencer à préparer la maison pour les funérailles qui ne sauraient tarder.

— Dis donc, Zéphirine, j’cré ben qu’mouman n’a pas ane robe propre, remarqua Délima, alors que les deux sœurs lavaient et essuyaient la vaisselle après le dîner.

— Non, a n’a pas. Ça fait cinq ans au moins qu’alle s’est pas mis un morceau neuf sur le dos.

— Ben va falloir lui en trouver ane pour l’ensevelir. À peut pas s’en aller avec sa vieille jupe toute en guenilles. Pis, on peut pas en emprunter, hein ? Alors, moé pis toé on va mettre ane piasse chacune, pis Paul et Ti Fred donneront eux aussi ane piasse. Ça f’ra quate piasses. Avec ça, on pourra lui avoir ane robe passable.