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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

la chance lui avait souri. Elle avait rencontré un homme intelligent, délicat, généreux, séparé de sa femme, le notaire Lormont, qui s’était épris d’elle. Il lui avait meublé un appartement, lui donnait largement de quoi vivre, venait souper avec elle tous les soirs et restait souvent pour la nuit. Elle avait alors vingt ans. Son ami, le notaire Lormont en avait trente-six.

Pendant quatorze ans, elle avait vécu sinon heureuse, du moins à l’aise et confortablement. Peut-être le notaire l’épouserait-il si sa femme se décidait à mourir. Pendant ces années, sa sœur était morte, laissant une fillette de huit ans. Avec l’assentiment du notaire Lormont, Alice l’avait recueillie, gardée avec elle, puis placée dans un couvent où elle recevait une instruction pratique. La vie coulait calme, paisible. Puis tout changea. Des existences furent bouleversées.

Un soir, au théâtre, le notaire Lormont et son amie se trouvèrent placés à côté d’un jeune peintre, Léo Destrier, qui avait déjà fait le portrait du tabellion. C’était un artiste de talent. Les critiques lui reconnaissaient une forte personnalité, un fier tempérament et un métier habile. Il n’avait que vingt-deux ans et il promettait d’aller loin. Cette rencontre fortuite, un soir au spectacle, fut désastreuse pour l’homme de loi et elle changea la destinée de la jeune femme. Pendant une intermission, l’on causa et le notaire, pourtant homme prudent, pondéré et de jugement, invita son jeune ami à venir casser une croûte à l’appartement de sa maîtresse après la représentation. Ce souper dura une partie de la nuit. Lorsqu’à trois heures du matin, le peintre sortit de chez son hôte pour retourner à la petite chambre qu’il occupait à côté de son atelier, il était tout vibrant. Une souriante image de femme aux lèvres rouges,