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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

ainsi mort et le plus tôt serait le mieux, car sa vie était irrémédiablement gâchée.

Toutefois, il ne mourut pas cette semaine-là.

Des mois et des mois s’écoulèrent.

Mais cette année-là, le premier janvier passa sans que M. Thouin reçut la visite de son fils. Cette négligence, cet abandon fut très pénible pour le père.

Quatre mois plus tard, M. Thouin en regardant dans un journal la liste des étudiants qui avaient été admis à la pratique de la médecine vit le nom de son fils. Il eut un moment de fierté et de joie. Il espérait que le nouveau diplômé viendrait lui rendre visite. Certes, il serait très heureux de le féliciter. Plusieurs jours s’écoulèrent toutefois et le nouveau médecin ne se montra pas. Le père sentit la rupture complète. Son fils l’avait complètement abandonné, comme sa mère avait fait un jour.

Puis, voilà qu’un soir, à quelques phrases entre ses hôtes, M. Thouin comprit que la belle blonde était partie au loin en compagnie d’un homme marié qui désertait sa famille pour aller vivre avec elle.

C’était la fin.

Le vieil homme se sentit infiniment malheureux. Il voyait toute la médiocrité, la tristesse, la misère de sa vie. Il en voyait l’inutilité, le vide effroyable, le néant.

Personne ne s’intéressait plus à lui. Personne. Sur la terre, il était seul, seul, seul. Et il n’avait connu que la trahison, l’ingratitude, la solitude, l’abandon. La vie avait été un leurre effroyable.

Désormais, il était étranger à tous et à chacun. Aucun lien ne le retenait à quoi que ce soit.

La tête lourde, le cœur barbouillé, gonflé, il ruminait des pensées amères.