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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

D’ailleurs, pour l’importance du sentiment qui entrait dans cette affaire.

Le midi, les nouveaux mariés prirent donc le dîner à la maison en compagnie de quelques voisins. Et pour ne pas froisser Zéphirine en prenant des airs de dame et en se faisant servir, Françoise mit un tablier et l’aida à mettre les couverts. Monsieur Daigneault ne put guère apprécier le repas, car son râtelier lui était plus nuisible qu’utile. Quant à Françoise, elle se sentait horriblement incommodée dans son corset neuf.

La journée se passa très calme. Dans l’après-midi, monsieur Daigneault voulut aller faire un tour au magasin.

— Ben, j’te dis, j’croyais qu’il avait l’esprit dérangé quand il m’a demandé pour le marier, répétait Françoise à Zéphirine en lui racontant pour la vingtième fois la proposition du notaire dans le jardin.

Le soir, vers les dix heures, les nouveaux mariés montèrent à leur chambre, là où la première Mme  Daigneault était morte il y avait vingt ans. Monsieur Daigneault enleva son râtelier, le regarda un moment, l’essuya avec son mouchoir, l’enveloppa dans une feuille de papier de soie et le serra dans un coffret, à côté d’un collier, de boucles d’oreilles et autres reliques ayant appartenu à sa défunte. Françoise dégrafa son corset, respira longuement et se frotta voluptueusement les côtes et les hanches avec ses poings. Elle aperçut à son doigt, le large anneau d’or qu’elle avait reçu le matin à l’église et elle sourit en regardant du côté de son mari. Reprenant le corset qu’elle avait déposé sur une chaise, elle le remit soigneusement dans sa boîte et le déposa au fond d’un tiroir de la vieille commode. Et le notaire et son ancienne servante se mirent au lit.