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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

très solide, à figure plutôt bestiale, mais travaillante et très dévouée. Elle se réservait les travaux pénibles : elle faisait la lessive, lavait les planchers, rentrait le bois dans la maison, bêchait le jardin à l’automne, posait les doubles fenêtres et une foule de besognes plutôt du domaine des hommes. C’était une très bonne pâte de fille. Elle retirait un maigre salaire, mais malgré cela, elle faisait des économies et, à l’automne, dans les environs de la saint Michel, des cultivateurs venaient lui payer des intérêts ou lui demander de l’argent à emprunter. L’autre servante, Zéphirine, était une cousine de la défunte femme du notaire. Lorsque ses parents, des fermiers, étaient morts, elle avait continué d’habiter la maison paternelle avec son frère Joachim, mais celui-ci s’était marié un an plus tard et ne pouvant s’entendre avec sa belle-sœur, Zéphirine songeait à s’en aller, mais où ? Elle ne le savait pas. Sur les entrefaites, elle avait rencontré monsieur Anthime Daigneault et lui avait raconté son embarras.

— Viens t’en rester à la maison, lui avait dit monsieur Daigneault, bonhomme. Tu aideras à Françoise, mais les gages ne seront pas forts.

Et Zéphirine avait fait sa malle et était arrivée un samedi après-midi. Il y avait quinze ans de cela. C’était elle qui s’occupait de la cuisine et le notaire, bien qu’il n’eût pas de dents, faisait de fameux repas, car devant son fourneau, elle était un peu là.

Monsieur Daigneault menait une existence calme et paisible. Il dirigeait son magasin, causait avec les clients, écoutait leurs histoires et, parfois, à l’automne, à l’époque des paiements, leur prêtait de l’argent. Les portes du magasin fermées, il se réfugiait dans son jardin et s’occupait de ses fleurs. C’était là sa famille. Il sarclait, arrosait, tail-