LA VIEILLE
N soir d’hiver, j’entrai dans le restaurant cosmopolite
de Roncari, pour souper. En pénétrant dans
l’établissement, j’aperçus à une table le poète Julien
Rival. Son torse puissant d’athlète renversé en arrière sur
sa chaise, il fumait lentement un long cigare italien. Devant
lui était un verre à moitié rempli et une bouteille de
chianti, vide. À côté de son assiette, sur la nappe tachée
de vin était un vieil exemplaire des œuvres d’Horace qui
ne le quittait jamais.
J’allai m’asseoir en face de lui.
Il était sept heures et demie environ et la plupart des clients étaient partis. Il ne restait plus que deux danseuses de théâtre qui figuraient dans un ballet, trois lutteurs : un français, un russe et un tyrolien, et un vieux bonhomme que les habitués de la place avaient surnommé saint Joseph parce que, travaillant dans une petite boutique de fleurs en papiers, il arrivait souvent tenant dans ses bras un bouquet comme celui que l’on voit dans les images pieuses aux mains de l’époux de Marie, et qu’il devait aller livrer à quelque client après son repas.
Comme Dorina la petite bonne m’apportait le plat de spaghetti et le civet que j’avais commandé, deux jeunes