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VENTE À L’ENCHÈRE


Dans toute la paroisse de Chateauguay c’est aujourd’hui un bourdonnement animé comme celui d’une ruche à qui l’on vient d’enlever son miel. À la gare, dans les magasins, les restaurants, les gens parlent avec vivacité. À chaque maison, le boulanger jase avec les clients.

C’est que c’est aujourd’hui qu’aura lieu par autorité de justice la vente à l’enchère des meubles et de la maison du notaire Lasorgue qui est disparu mystérieusement il y a deux mois avec les argents qui lui avaient été confiés. Toutes les économies de la paroisse sont parties. Chacun est plus ou moins écorché. Quelques-uns perdent tout leur avoir.

Bien que la vérité soit connue depuis quelque temps, les gens ne peuvent accepter l’idée de la catastrophe, ils ne peuvent croire que c’est vraiment arrivé. Un homme si aimable, pas fier, pas gênant du tout, qui vous parlait familièrement partout où il vous rencontrait, peut-on croire qu’il soit parti avec l’argent de la paroisse ? La chose paraît incroyable.

Et chacun se rappelle comme c’était simple et facile de bâcler les affaires avec lui. Pas besoin de tous ces papiers qui coûtent si cher chez les autres notaires. Il apparaissait chez vous à l’heure du dîner ou du souper.

— Tu n’aurais pas mille piastres à prêter à six pour cent sur une bonne hypothèque ? demandait-il.

Vous n’en aviez que huit cents.

— Je les prends, disait-il, bon enfant. Je trouverai les deux autres cents ailleurs.