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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

D’autres flocons encore, flottent comme indécis, puis plongent et vont s’abîmer, se noyer dans la rivière miroitante.

Les cieux sont vibrants de vie. C’est un jour de création.

L’on respire une atmosphère de désirs éperdus, exaspérés, de fièvre, de démence.

Des milliards et des milliards de graines nagent dans l’air limpide, cherchant le coin de terre où se déposer. C’est un frémissement d’embryons. Et toujours, la brise qui passe détache de nouveaux germes qui s’élancent et prennent leur vol.

C’est la vie aveugle qui veut devenir, ce sont des êtres qui veulent se réaliser…

Mais combien mourront avant d’avoir vécu ? Combien resteront dans le néant ?

La surface de la rivière est couverte de flocons blancs qui flottent tels des cadavres. Des multitudes d’autres sont tombés sur la route où ils seront écrasés ; d’autres encore qui cherchaient un sol friable et frais, n’ont rencontré que la pierre ou le roc, et d’autres ont chu sur les clôtures, sont restés accrochés aux fils de fer barbelés où le vent inlassablement les secoue.

Sur les champs, sur la route, sur les toits, sur la rivière, tombe lentement, doucement, telle la neige la graine floconneuse des grands liards.