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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

Cousine Thérèse nous offre un bouquet de son jardin : dahlias, marguerites, capucines, géraniums et réséda, pour apporter à la ville. Comme nous sortons, une petite voisine, blonde, mince et pâle nous en remet un autre.

À l’été prochain.

Une telle tristesse pèse sur la campagne que nous partons sans regrets.

Et maintenant, nous voici ce soir dans la bibliothèque. La pluie bat la fenêtre. Elle ruisselle. C’est une averse torrentielle, un vrai déluge. Mais nous sommes confortablement chez nous, au milieu des tableaux et des livres. La mosaïque des reliures caresse l’œil. Et il me semble que les pensées des sages et les rythmes des poètes flottent en ondes harmonieuses dans la pièce. Sur la table est le modeste bouquet que nous donna au départ cousine Thérèse. C’est le dernier souvenir d’un été enfui. La vie a été bonne.

Nous vieillirons et nous mourrons. Les uns après les autres nous entrerons dans le grand repos mais les derniers de la famille qui resteront évoqueront parfois le soir avec émotion le souvenir de la calme petite maison blanche où nous avons passé de si doux étés. Quelque soit le sort que l’avenir nous réserve, les jours de bonheur vécus à Chateauguay resteront comme un précieux héritage que rien ne pourra nous enlever.

[ 1918-1923 ]