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LES DÉPARTS


Ce samedi de septembre, nous sommes allés, Dearest et moi, faire une promenade à Woodlands, en passant par le village. L’air est tiède, ensoleillé, et de légers nuages blancs flottent ça et là dans l’immensité du ciel bleu.

Nous passons à côté du vieux cimetière dans lequel dorment à jamais cinq ou six générations de travailleurs des champs. De hauts tournesols dominent le mur en pierre, à l’arrière, et penchent vers le calme enclos, vers cette poussière humaine, leurs fleurs éclatantes, lumineux sourires de la terre aux trépassés.

— Dans les petits cimetières comme celui-ci, me dit Dearest, les morts ne sont pas abandonnés ; ils sont encore avec les vivants. Les autres dans ceux des villes, ont beau avoir de pompeux et riches monuments, ils sont délaissés, oubliés, et c’est là ce qui est triste.

Quelques dévotes entrent à l’église pour réciter leurs oraisons et, par la porte ouverte du vieux temple, s’échappe comme un faible arôme d’encens.

Des géraniums, et des quatre saisons dans des boîtes ou des pots verts, des marguerites et quelques plantes au feuillage métallique, dans des seaux rouges, ornent le parterre du curé, un parterre caractéristique du presbytère de campagne.

Au seuil de la boutique de forge, nous apercevons un invalide, à figure de crétin, aux pieds enflés, enveloppés de linges, assis sur une chaise roulante. Pour échapper à son ennui, à sa détresse d’être seul, à son infirmité, il se fait transporter là afin de pouvoir causer, d’entendre raconter les nouvelles, les potins. Tous les jours, après le