Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un homme simple et frugal qui avait été à la dure école de la pauvreté. À cette époque, il exécuta toute une série d’études du port de Montréal, de vieilles goélettes qui lui rappe­laient ses premières années d’enfance à Terreneuve. Il peignit un jour un grand tableau montrant les élévateurs à charbon d’Hochelaga. C’était un effet de nuit. L’on voyait cet énorme appareil déchargeant les navires de ses grands bras mécaniques et l’on aurait cru entendre le grincement des poulies. Cette toile fut l’un des plus remarquables envois au salon de l’Art Association.

Cullen fit quelques séjours à Saint-Eustache et rapporta de là des paysages fort personnels et très intéressants. Mais c’était l’hiver qui l’intéressait surtout. Il peignit la récolte de la glace sur le Saint-Laurent, en face de Longueuil, les mornes attelages, les bêtes de trait fatiguées, traînant les charges de glace sur le fleuve, dans un crépuscule gris ; il nous montra les voitures retournant vers la ville dont les milliers de feux apparaissaient faiblement le soir à travers la poudrerie. Il y avait dans ces œuvres une poésie triste, douloureuse. Épris de sincérité, Cullen nous faisait voir le dur et pénible travail des hommes et des bêtes.

L’artiste se plut aussi à peindre les postes de cochers de la rue Sherbrooke ouest et du square Dominion par les jours d’hiver quand la neige tombe ou le soir, quand ils sont en­tourés d’ombre, de ténèbres et de brouillard et que la lueur des fanaux des sleighs fait songer à un phare. Cullen nous mon­tra ensuite dans ses toiles les édifices des douanes, de vieilles maisons de la rue Notre-Dame, des barges chargées de foin, une grande vue de Québec, etc.

Un été, Cullen décida d’aller passer un mois à Terreneuve afin de revoir son père. Il le vit. Il rencontra là aussi, quelqu’un qui devait jouer un rôle important dans son exis­tence, celle qui devait un jour devenir sa femme. L’artiste rapporta de cette visite plusieurs tableaux, des goélettes grises dans le port de Saint-Jean.

L’hiver suivant il exécuta nombre de paysages montrant la neige avec des tons bleus ou roses. Ce fut une sensation. Jusque-là, tous nos artistes à l’exception de Kreighoff avaient vu la neige simplement blanche. Cullen fut pour ainsi dire