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fort avisés, qui avaient reconnu la valeur des peintures de Cullen conclurent avec lui un pacte avantageux pour les deux parties au traité. Pendant les douze ou quinze dernières années de sa vie ils organisèrent à chaque mois de décembre des expositions de ses œuvres qui connurent le plus beau succès jamais obtenu au pays. À chaque occasion, les toiles étaient presque toutes vendues en quelques jours, achetées par de riches amateurs du Canada et des États-Unis. Ces ventes annuelles rapportaient une vingtaine de mille dollars. Mais avant d’arriver au succès, que de travail, que de lutte patiente, obstinée, que de privations ! Et que de tableaux empilés derrières des tentures, dans son atelier, sans perspec­tive d’être jamais vendus !

C’est qu’avant d’être le peintre du Lac Tremblant, des Laurentides, Cullen avait créé une œuvre variée, vaste, con­sidérable et intéressante.

« Il y a rue Notre-Dame, près McGill, un exposition vrai­ment remarquable de toiles d’Algérie par un jeune artiste que j’ai rencontré à Paris. Tu devrais aller la voir. Je suis sur que tu goûterais cela, » me dit un jour le Dr Jules Laberge, un oncle qui m’a initié à la littérature et à la peinture et à qui je dois beaucoup.

J’allai voir l’exposition qui avait lieu dans un magasin vacant. J’y rencontrai un petit homme au front têtu et éner­gique, la figure couverte d’une courte barbe, aux yeux gris très vifs, d’apparence modeste, qui me reçut cordialement. C’était Maurice Cullen qui, de retour au Canada après un séjour de huit ou dix ans en Europe, se présentait devant le public. Il y avait là une centaine de toiles : un panorama de Tunis la blanche, des scènes du désert, des visions de sable jaune, de rochers avec des palmiers verts, de blanches habita­tions au toit plat, des solitudes ocrées traversées par des sil­houettes d’arabes dans leur burnous. Le peintre s’affirmait là un hardi coloriste et présentait des œuvres qui attestaient un vigoureux talent. Ces visions d’Afrique me hantèrent l’esprit pendant des jours, des semaines.

Cullen avait loué un atelier au No 100, rue Saint-François-Xavier et résolument se mit au travail. Ses débuts furent difficiles, mais c’était un homme de volonté énergique,