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Bien qu’il soit fort modeste comme on vient de le voir, Beau a cependant conscience que ses œuvres ont une réelle valeur artistique. M’envoyant en 1929 des photographies de ses deux envois au Salon de Paris, il m’écrivait : « Je sais que vous serez content de vous rendre compte par vous-même et de constater que quoi qu’ayant dépassé la quarantaine, je ne suis pas encore bon à chloroformer ».

Beau n’a jamais oublié ses anciens camarades. En février 1931, il terminait une lettre qu’il m’écrivait par la déclara­tion suivante :

Si je pouvais me faire octroyer une mission pour peindre les anciens forts français du bas du fleuve, il me semble que je l’accepterais rien que pour revoir les vieux amis.

La pensée claire, d’une plume alerte, légère, sans ratures, sans corrections, Henri Beau écrit rapidement, sûrement, avec une facilité remarquable, employant toujours le mot juste et précis, l’expression qui rend exactement son idée. Il narre les nouvelles, raconte un fait, trace un tableau, es­quisse de façon fort pittoresque une scène dont il a été té­moin, porte un jugement, une appréciation sur un livre, un homme, une œuvre, émet des idées, évoque des souvenirs. Certaine page dans laquelle il nous montre des villageois ita­liens jouant aux boules, le dimanche, est un pur chef-d’œu­vre. Il est infiniment regrettable qu’un lot de ces lettres qui auraient formé un volume du plus haut intérêt et qui cons­tituaient une œuvre littéraire de tout premier ordre ait été détruit, brûlé.

Beau a vu disparaître les uns après les autres ses anciens camarades mais malgré les deuils et les ans, il a conservé la ferveur de son art et le travail est sa joie.

Au cours d’un voyage à Paris, il y a quelques années, désirant revoir l’ami Beau que je n’avais pas vu depuis vingt ans, je lui téléphonai, le priant de venir me rencontrer à l’hô­tel. Tout joyeux, enchanté, il m’invita à l’aller voir chez lui. Cependant, ne voulant pas le déranger dans sa maison, je lui expliquai que j’étais avec ma femme et mon fils. « Venez tous les trois, me dit-il, je serai heureux de vous voir ». Pré­férant cependant ne pas amener d’étrangers chez lui, car il