Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ture a été enlevée et remplacée par celle d’un autre peintre après le départ de l’artiste pour la France. Son arrivée de Champlain à Québec est une autre œuvre magistrale.

L’une des toiles de Beau, Les noces de Cana, est accro­chée dans la chapelle du Sacré-Cœur à l’église Notre-Dame.

Dans ses articles sur les Salons de 1904 et 1905, Charles Gill a fait les plus grands éloges des tableaux de Beau, particulièrement du Pique-Nique et d’Idylle.

Beau est non seulement un peintre de tout premier ordre, c’est aussi un esprit très cultivé, un penseur. Intelligence ouverte à toutes les questions, il a beaucoup lu, beaucoup médité et est capable de porter un jugement libre. En plus de la peinture, la littérature et la musique l’ont toujours passionné. Il a passé d’innombrables soirées à lire. C’est un fervent de Tolstoï dont il possède l’œuvre presque complète.

Comme je l’ai dit au début de cette étude, Beau est un travailleur acharné. Après une dure journée employée à peindre, il se met le soir à sa table et écrit de longues lettres aux amis, aux camarades éloignés auxquels il pense souvent. C’est un grand épistolier et un grand écrivain.

On ne lira sans un vif intérêt la lettre suivante qu’il m’écrivait dans laquelle il parle si noblement de son art. Ses souvenirs sur le douanier Rousseau sont aussi des plus cu­rieux :

Votre lettre du 20 février m’a causé une grande joie. Je vois que vous vous intéressez toujours aux choses de l’esprit et du sentiment. Si vous saviez combien j’ai eu de désillusions dans la fréquentation de nos compatriotes et aussi hélas ! d’une partie de la jeune génération d’ici. Depuis la guerre, cette jeunesse ne pense qu’à arriver — arriver, gagner de l’argent — vivre de la vie brutale que peut procurer ce sale argent. C’est ce qui vous explique la production moderne d’un certain nombre d’artistes jeunes — les vieux mêmes sont inquiets ; le succès marchand qu’ils obtiennent par mode et snobisme, les déconcerte. Mais les vrais artistes regardent cela en souriant et continuent la poursuite de leur idéal de perfection. Je pense toujours à cet aphorisme de Taine : « L’étude incessante de la vie est le but suprême de l’art ; le tableau n’est que l’accident. » Et c’est aussi ce que j’ai toujours cherché, la production du chef- d’œuvre. Chaque fois que je mets un tableau en chantier, je me