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LE DESTIN DES HOMMES


À OSWALD MAYRAND


Le bonheur c’est, lorsqu’on est fatigué, une brève halte sous de grands ormes ombreux, mais le sol est couvert de larges bouses de vaches ; c’est, lorsqu’on a soif, un gobelet d’eau franche et limpide, mais à la surface du puits, flotte le corps enflé d’un chien noyé.
A. L.


Trois ans après que son père se fut donné à lui, Gédéon Quarante-Sous vendit sa terre pour aller s’établir dans une paroisse éloignée où il avait pris sa femme. Ce fut un rude coup pour le vieux, âgé de soixante-cinq ans qui avait toujours compté mourir là où il avait vécu. Sa destinée était autre cependant et il dut suivre son fils. Les hommes c’est comme les arbres. Lorsqu’ils sont vieux, on ne les transplante pas sans danger. Là-bas, sur cette ferme qu’il ne connaissait pas, au milieu d’étrangers, le père Quarante-Sous désorienté, perdu, languit pendant dix-huit mois, de l’amertume plein le cœur, puis il mourut. Bien débarrassé de la vie.

En trimant sur sa nouvelle terre, et en ménageant, Gédéon réussit à élever sa famille sans être trop accablé par des dettes. À travailler chaque jour de l’année, à s’efforcer de surmonter les épreuves qui vous arrivent, à ar-