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LE DESTIN DES HOMMES

saient un modeste revenu et avaient acquis l’indépendance en élevant des volailles. Avec les œufs, les poulets, ils arrivaient à doubler leur salaire. M. Lepeau avait été séduit, conquis par cette lecture. Ce que d’autres avaient fait, il pourrait le faire lui aussi. Par la suite, pendant des jours, il avait ruminé, puis mûri l’idée d’aller vivre à la campagne tout en conservant son emploi à la ville. Comme tant d’autres, il voyagerait matin et soir.

L’homme était un rêveur, un esprit chimérique, ne possédant nullement le sens pratique. Avec ferveur, il relisait les récits de son magazine et il ne doutait nullement qu’il réaliserait de beaux bénéfices en faisant l’élevage des volailles. Juste un peu de travail, pensait-il, avant de partir le matin pour la ville et le soir à son retour. Cela marcherait tout seul. Il n’aurait qu’à lever les œufs et à vendre les poulets, les meilleurs œufs et les plus beaux poulets de l’endroit, se disait-il avec satisfaction, et qu’il vendrait un bon prix à quelque gros marchand faisant spécialité de ces produits.

Emballé par cette idée, il annonça un soir à la famille qu’au printemps on partirait pour la campagne. Alors, il chercha. À cinquante minutes de la ville, il trouva une vieille maison en bois au bord d’une boueuse rivière, avec un petit terrain où il pourrait construire un poulailler et même avoir un jardinet. Le propriétaire voulait s’en débarrasser et il céda la propriété à des conditions faciles. Aussitôt installé, M. Lepeau se construisit un poulailler et se procura un incubateur. Ainsi, il éleva des poulets, vendit des œufs et des poules, mais cette industrie demandait plus de soins et de travail qu’il se l’était imaginé et les profits étaient minces. La réalité était tout autre que ce qu’il avait rêvé. C’était une déception comme on en rencontre tant dans la vie. Tout de même, il persévérait, mais sans