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LE DESTIN DES HOMMES

Sa tournée achevée, il rentra en ville riche de quelques centaines de piastres.

Pendant les saisons qui suivirent, il s’employa à diverses besognes, désireux de voir revenir l’automne afin de faire la tournée des expositions agricoles avec ses hautes bottines dorées, sa peau de léopard et son haltère nickelé.

Les années s’écoulèrent, de nombreuses années. Mais tout passe. La jeunesse s’en va, les forces s’usent et puis, un jour, le spectre de la vieillesse apparaît. Urgel avait cessé d’être un phénomène. Il était devenu un homme ordinaire, un homme comme tous les autres. Amèrement, il réalisait que sa carrière de Samson était finie. Son brillant haltère nickelé était maintenant rouillé et sa belle peau de léopard était bien mitée… Il eut toutefois la chance de se trouver un emploi comme gardien de nuit dans une salle de quilles. Entre temps, il avait rencontré une femme plus que mûre, laide et hargneuse que la vie avait fort malmenée. Sans aucune formalité, ils entrèrent dans la même chambre, dans le même lit, partageant leur pauvreté et leur misère. Forcément, sans aucune patience, ils subissaient les défauts l’un de l’autre. Les querelles étaient fréquentes. La femme faisait des journées à droite, à gauche. Souvent, elle rentrait ivre, ayant bu ce qu’elle avait gagné par un dur travail.

Au cours de ses aventures, Urgel avait contracté la syphilis et il en ressentait maintenant les effets. Vint un jour où il se trouva aveugle et paralysé. Ce fut ainsi qu’un soir, on le trouva mort dans une chambre sordide. Et probablement qu’il avait vécu ses quatre ou cinq derniers jours sans manger.