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LE DESTIN DES HOMMES

— Je gagne, répondit-elle simplement.

Elle attendit le pesage des jockeys puis les numéros des gagnants furent affichés au tableau. Le vainqueur rapportait $9.45 pour 2.00. La femme au chapeau rouge se leva et s’éloigna pour aller encaisser son gain.

— C’est une chanceuse. Elle a de bons tuyaux, remarqua la vieille aux deux nattes postiches.

— Oui, c’est pas à nous autres qu’un beau garçon viendra donner le nom d’un gagnant, commenta amèrement celle au boléro rouge feu.

— Que voulez-vous, chacun a son temps. On ne peut pas toujours rester jeune et les beaux garçons nous leur faisons peur aujourd’hui, ricana la vieille de soixante-seize ans.

L’étrangère revint prendre sa place au bout du banc puis, posément, ouvrit sa sacoche, en sortit un sandwich au poulet enveloppé dans un papier glacé et une serviette qu’elle étendit soigneusement sur ses genoux, puis elle se mit à manger sans hâte, en femme qui goûte et apprécie ce qu’elle se met sous la dent. Lorsqu’elle eut fini, elle se versa un nouveau verre de vin, le but lentement, par petites gorgées, s’essuya la bouche avec sa serviette, la replia et la serra dans son sac.

Les vieilles l’observaient avec envie et admiration et se disaient intérieurement que c’était là une femme qui ne se privait de rien et qui aimait les bonnes choses.

— C’est mieux qu’un hot-dog, remarqua d’un ton aigre la vieille de soixante-seize ans en songeant à ses maigres soupers au restaurant ou à la pharmacie.

La cinquième course fut disputée sans que les trois vieilles y prissent le moindre intérêt. Elles avaient bien leur idée mais le difficile était de la mettre à exécution. Alors, au moment où les coursiers faisaient leur apparition