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LA FEMME AU
CHAPEAU ROUGE


Elles étaient trois vieilles femmes assises sur un banc, sur la pelouse rôtie et pelée du champ de courses. Par une entente tacite, elles s’étaient rencontrées là cet après-midi car elles étaient des habituées de l’hippodrome et, chaque jour, elles se rendaient à la piste pour voir galoper les pur sang et risquer quelques écus. Comme leurs moyens étaient des plus modestes, d’ordinaire, elles se mettaient à quatre pour parier deux piastres. Le gain était mince, les pertes aussi.

Elles étaient trois vieilles qui auraient bien aimé trouver une associée pour miser avec elles.

La plus âgée du trio déclare volontiers qu’elle a soixante-seize ans et qu’elle est veuve. Lorsqu’elle a perdu son mari, il y a douze ans, elle est devenue toute détraquée, à moitié folle. Avant cela, elle n’avait jamais mis les pieds sur un champ de courses, mais ses amies lui conseillèrent de se distraire de sa peine en allant voir courir les chevaux, ce qui lui permettrait en même temps, lui assurait-on, de faire facilement quelque argent. Comme la vieille ne savait plus ce qu’elle faisait, elle écouta aveuglément les conseils qu’on lui donnait, puisa dans les économies laissées par son