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LE DESTIN DES HOMMES

— Oui, je serais heureux, mais mon garçon Adolphe me cause bien des ennuis. Je lui ai donné une bonne terre et il pourrait vivre facilement et agréablement, mais il est toujours dans les dettes. Pas de jugement pour une cenne. Il achète un tas de choses dont il n’a pas besoin ou dont il pourrait se dispenser : des instruments agricoles du dernier modèle, une automobile, pas une neuve, une de seconde main, c’est vrai, mais qui est encore trop chère pour lui. Parfois il se rend à des encans et, par jeu, pour l’excitation que cela lui donne, il fait monter les enchères. Alors, il y a un tas de drigails qui lui restent sur les bras. De vieux agrès non seulement inutiles, mais encombrants. Pis, il fait des mauvais marchés et il se fait jouer par tout le monde. C’est curieux, il ne peut refuser d’endosser un billet promissoire. Alors, il est forcé de payer et il s’adresse à moi. Mon revenu passe à le sortir de ses dettes. C’est pas gai pour quelqu’un qui a travaillé et qui a ménagé toute sa vie de voir gaspiller de l’argent qui est si dur à gagner et de penser que, quand je serai parti, mon garçon se fera enlever la terre que je lui ai donnée en héritage.

Lorsque le vieux Quarante-Sous voulut partir, Prosper Dupuis le retint à souper et à coucher. Justement Adolphe arriva pendant que l’on mangeait. Naturellement il prit place à table. Quand on eut fini, le fils entraîna son père au dehors. Au bout de quelque temps, l’on entendit la voiture du premier qui s’éloignait sur la route, puis le vieux rentra à la maison. Sa figure était sombre. Il s’assit à sa place et resta silencieux un moment. Puis il parla : Ce pauvre Adolphe s’est encore laissé prendre. Il a cautionné pour son voisin et, comme toujours, il doit payer. Toute sa récolte va y passer. Mais à part de ça, il a des paiements à rencontrer, et ses taxes à acquitter. C’est