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LE DESTIN DES HOMMES

propre et cria à Zéphirine : On va aller su l’notaire. Tu veux la terre, tu vas l’avoir.

Lorsque François apprit que son père avait donné sa terre à Zéphirine, il entra dans une violente colère. Tout simplement, il s’était fait voler. La terre c’était un bien dont, depuis son enfance, il se considérait comme le possesseur. Et on la lui arrachait. D’abord, dans une famille, la terre paternelle retourne toujours au garçon. C’est comme un droit de naissance. Et le champ des Marcheterre, il avait sans interruption passé de père en fils depuis cent quarante ans. Maintenant, c’était la fille qui se l’était approprié. Fatalement, la terre serait vendue, passerait à des étrangers. François rageait. De ce moment, il cessa complètement ses visites à son père et à sa sœur, les ignorant complètement, même au temps des fêtes. Sans rien dire, le vieux souffrait amèrement de cet abandon. À la vérité, lui aussi croyait que la terre aurait dû retourner à son fils, mais devant le rude ultimatum de Zéphirine, il avait dû céder. Cet état de choses durait depuis plus de trois ans et ne paraissait pas devoir cesser, mais voilà que François apprend par pur accident que son père avait, dans le temps, prêté cinq cents piastres pour quatre ans à Olivier Duquette, l’un des habitants du rang, et que l’échéance de ce prêt était déjà arrivée. Dans ce cas, son père devait avoir cet argent dans sa poche. Pour se dédommager un peu de la perte de la terre paternelle, ne pourrait-il essayer de mettre la main sur ce montant ? En pensant à la chose, il ruminait un vague plan. Son père qui s’ennuyait, seul dans la maison avec sa fille, allait de temps à autre passer un après-midi à la boutique de forge. Là, il rencontrait de vieilles connaissances et jasait longuement de choses parfaitement insignifiantes. Conduisant un cheval qu’il désirait faire ferrer, François se rendit un après-midi chez le