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LE DESTIN DES HOMMES

en se mariant. Oui, elle regrettait ce qu’elle avait fait mais il était trop tard.

Cinq polonais employés à la construction d’une immense usine de munitions s’installèrent chez elle. Un compagnon de travail possédant une automobile, les prenait chaque matin à six heures à la pension, les conduisait à leur travail et les ramenait le soir. Ils se levaient à cinq heures, prenaient le déjeuner, puis l’un après l’autre, avec une lanterne électrique, dans le froid, la neige et le noir, ils s’en allaient à tour de rôle aux chiottes, à trente pieds en arrière de la maison. C’était comme un rite. Si par hasard, un camion passait sur la route, le chauffeur apercevant l’homme avec sa lumière remarquait : « Tiens les polonais qui commencent leur journée. » Munis de leur lunch, préparé par la femme, ils attendaient le coup de klaxon qui ne tardait pas, et prenaient place dans la voiture qui arrivait toujours à l’heure.

Des pensionnaires modèles, ces polonais. Après leur souper, ils montaient à leurs chambres, fumaient une pipe et se couchaient. Jamais de bruit. Une destinée tragique les attendait. L’un d’eux fut écrasé à mort par une poutre de fer alors qu’il était à son travail, un autre étant allé passer la fin de semaine à la ville fut asphyxié pendant son sommeil lorsqu’un incendie ravagea la maison dans laquelle il dormait, deux autres furent tués instantanément dans un accident d’auto et le dernier se suicida avec un revolver en apprenant que sa femme restée là-bas, et à qui il envoyait régulièrement des sommes d’argent vivait avec un autre homme et avait eu de lui deux enfants.

— C’est un vrai sujet de complainte, La Complainte des cinq polonais, remarqua Latour en apprenant la mort du dernier du groupe.