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LE DESTIN DES HOMMES

Comme d’ordinaire, il ne répondait pas, mais il se disait : Je n’ai pas à plaire à personne. D’ailleurs, il était satisfait de son vieux complet et n’avait aucun désir d’en avoir un neuf. Il était habitué à ce vêtement qui s’adaptait parfaitement à la forme de son corps et de ses membres. Un vieil habit c’est un ami. Avec lui, il n’y a pas de gêne. Et s’il y a un trou au coude ou un accroc au genou, vous vous dites que c’est un petit défaut et on le pardonne volontiers au fidèle vêtement. On s’y est accoutumé et cela n’a pas d’importance. Certes, il n’est pas beau, mais si l’on se regarde soi-même dans le miroir, l’on constate que l’on a bien changé et que l’on n’est pas un objet d’admiration. Un complet neuf c’est un étranger. Il vous faudra du temps pour vous familiariser avec lui.

Après un silence, Amanda reprenait : « C’est ça, ménage, ménage, et quand tu seras parti, tes neveux ne perdront pas de temps à profiter de cette manne qui leur tombera du ciel. Tu ne seras pas encore enterré qu’ils s’achèteront des habits, un appareil de radio, peut-être une automobile. Et en riant ils diront : Le vieux pingre ne voulait pas dépenser ane piasse pour s’acheter une paire de culottes. Quel encrouté c’était ! Si encore on avait des enfants, ajoutait-elle, on se dirait : On ménage pour eux, pour leur laisser un peu de bien et ce ne serait qu’à moitié mal, mais tu n’as que deux ou trois neveux qui ne viennent jamais te voir.

— Oui, ben j’aime mieux ça ainsi, répliquait-il. J’aime mieux ne pas les voir ; ils prouvent comme ça qu’ils ne courent pas après le p’tit peu d’argent que je leur laisserai en partant.

Amanda apprit un jour que son mari était allé à un encan dans le voisinage et avait acheté une moissonneuse et un sarcloir.