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LE DESTIN DES HOMMES

À la vérité, c’était trois pensionnaires qui mangeaient beaucoup et ne payaient rien.

Un jour cependant, elle eut une heure de satisfaction. Alors qu’il fauchait son blé d’Inde pour l’ensilage avec un attelage de trois chevaux : un aveugle au centre, un souffrant de la gourme qui soufflait bruyamment à chaque pas et une vieille jument, un gros rat affolé apparut soudain au milieu des tiges que la faulx venait de coucher sur le sol. En apercevant la bestiole, Marin le plus jeune des trois chiens qui suivait son maître s’élança pour la saisir, mais il eut les deux pattes de derrière coupées par la lourde machine. Il n’y avait rien à faire et, la mort dans le cœur, le fermier Latour dut l’abattre d’un coup de fusil. Il l’enterra au pied d’un orme, clouant sur l’arbre une planchette avec l’inscription : Ici repose Marin, un ami fidèle. La femme connut alors un moment de détente, une sensation de débarras comme elle en avait rarement éprouvé dans sa vie. Par contre, Latour fut pendant des semaines, taciturne, sombre, chagrin, malheureux. Ses chiens c’était sa raison de vivre.

En plus des deux chiens qui restaient, il y avait maintenant les aides. Pendant des années, Latour avait eu le même homme de peine, un veuf sans enfants, de près de quarante ans, qui s’intéressait à la terre et qui connaissait le métier d’agriculteur. Travaillant par nature, il n’attendait pas les ordres du patron, mais exécutait de son propre chef les besognes les plus pressantes. Un employé modèle, prenant les intérêts de son maître. Mais un jour, il fit un héritage et partit. C’était au printemps et il fallait le remplacer. Cette saison-là, le fermier fut constamment à la recherche d’aides. Mais tous les bons hommes qui n’étaient pas partis à la guerre étaient employés dans les usines de munitions. Les autres étaient des paresseux, des