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LE DESTIN DES HOMMES

savoir où il allait, absolument perdu. Si un habitant le rencontrait, il le ramenait chez lui. Plusieurs fois, il fallut aller à sa recherche. On le trouvait épuisé, affamé. Le fils était furieux car il disait que cela lui faisait perdre son temps. Puis voilà que le vieux tombe malade. Son fils Gabriel va voir le docteur. « C’est de l’épuisement général, déclare celui-ci. Il est rendu au bout. Sa tâche est finie. Il va s’éteindre lentement. Prends-en bien soin. »

« À quelque temps de là, le docteur revenant de voir un autre malade arrête en passant pour voir Dupras. Il le trouve couché sur une paillasse déchirée, toute mouillée d’urine, sans une couverture sur lui et sale, sale, avec seulement une vieille camisole sur le dos. C’était en automne et, dans la petite chambre du côté nord où il se trouvait, il faisait froid. Le docteur n’était pas content. »

— Comment se fait-il qu’il n’ait pas un drap ni une couverture pour le tenir un peu au chaud ? demande-t-il.

— Ah ! ses couvertures et son drap il les a déchirés. Il déchire tout ce qu’on met sur son lit, répond la bru.

— Où est votre mari ? interroge le docteur.

— À la grange.

Alors le docteur s’en va à la grange.

— Écoute, mon garçon, fait-il d’un ton sévère, en s’adressant à Gabriel, tu vas prendre soin de ton père. Si tu ne veux pas t’en occuper, je vais trouver quelqu’un qui va s’en charger.

Et il part.

Une semaine plus tard, le docteur repasse. Le malade était recouvert d’une couverture, mais le fils Gabriel l’avait sûrement prise dans son écurie car elle sentait le cheval et était toute couverte de poils. Et la paillasse était toujours trempée d’urine et le vieux avait des plaies de lit sur les reins.