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LE DESTIN DES HOMMES

pour la nuit, redoutant un incendie. Au matin, toutefois, il ne restait plus un tison. Il fallait rallumer son fourneau. Comme le vent avait maintenant dégénéré en une furieuse tempête de neige, qu’il était manifestement impossible de sortir, la marchande descendit à la cave et tenta de fendre une couple de bûches mais elle n’y réussissait pas car le bois était très dur. Réellement, la tâche était trop forte pour elle. Mais la nécessité la forçait à s’entêter, à persévérer. Elle donnait de rudes coups de hache sur le billot d’érable, mais sans succès. L’effort faisait battre son cœur avec une extrême violence. Finalement, un éclat se détacha et elle eut ensuite la besogne plus facile. Quelques minutes plus tard, elle remontait de la cave les bras lourdement chargés. Comme elle mettait le pied dans sa cuisine, elle croula au plancher foudroyée par une attaque cardiaque.

Elle était morte. Toutes ses misères étaient finies.

L’angoissant problème du pain n’existait plus pour elle.

Lorsqu’on ouvrit sa bourse, elle contenait dix-sept sous. Dans sa boîte à pain, l’on trouva deux croûtons, durs comme fer.

Ce fut le maire, M. Dorion, détenteur de l’hypothèque sur la propriété de la défunte qui se chargea des détails de l’enterrement. Il n’était pas homme à faire des extravagances. Pour trois piastres, le menuisier confectionna un cercueil de planches brutes barbouillées de noir. Le vieux curé chanterait un libera. Évidemment, il n’était pas question de faire venir un corbillard du village voisin. Tout comme pour la vieille Deschamps et nombre d’autres pauvres gens de la localité, l’on se servirait d’un simple traîneau, une traîne comme disent les habitants.

La tempête qui s’était déchainée la veille du décès avait continué pendant trois jours et il y avait une couche