lette est abominablement sale. Vous devriez la faire nettoyer.
Le juif ne répondit rien, mais le soir avant de fermer l’établissement, il alla à son employée et du ton dont il aurait trouvé la solution à un problème : « J’ai pensé à ce que vous m’avez dit au sujet de la chambre de toilette. Vous la nettoierez lundi. »
Le rouge de la honte et de l’humiliation monta au visage de la vieille femme. Ce fut pire que si on lui eut craché à la face.
Cependant, elle ne répondit pas un mot mais en elle-même elle se dit : Avant de nettoyer le fumier d’un juif, je crèverai plutôt de faim.
Rien désormais n’aurait pu la retenir à Beaufort.
Partir, partir au plus tôt, c’était sa seule pensée, son seul désir. Le lendemain soir, sans avoir averti son patron, elle se retrouvait dans sa vieille maison, dans son petit village. À cette heure, elle savait qu’elle n’en sortirait plus vivante. L’on était à l’automne de l’année et elle était au crépuscule de la vie. À son retour, avec de vieux gants, elle rentra sous la grêle, par le vent et le froid, les légumes de son jardin, deux sacs de pommes de terre, des carottes, des navets. Elle récolta aussi un seau de tomates vertes qui mûriraient sous sa remise. Enfin, elle cueillit ses dernières fleurs à la pluie. Dans son jardin, il ne restait plus rien, rien que les feuilles jaunies des arbres dépouillés par les grands vents.
Un samedi après-midi, elle contemplait mélancoliquement les montagnes environnantes. Toute la poésie qu’elle avait cru voir dans ce coin de terre semblait disparue à jamais. Ses yeux dessillés de ses illusions apercevaient la triste réalité. Devant elle il n’y avait plus qu’un sol pelé, des pierres poussiéreuses, des chardons secs, des feuilles