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LE DESTIN DES HOMMES

— C’est-il aujourd’hui que tu vas acheter la bague de fiançailles ?

L’amoureux d’Ernestine s’efforçait de sourire, de prendre un air détaché, mais il rageait et aurait voulu envoyer ces taquins au diable mais il préférait toutefois ne pas paraître faire de cas de leurs railleries.

Ces faits insignifiants composaient l’atmosphère du petit village de Lavoie, où la veuve Rendon tâchait d’arracher sa vie avec son magasin aux tablettes à moitié vides.


Parfois, la marchande se prenait à penser, le soir, dans sa solitude, au triste sort d’une femme veuve. Pour tout elle ne doit compter que sur elle-même. Elle doit pourvoir à sa subsistance, à sa nourriture, à ses vêtements, à son chauffage, à tout. Au contraire, la femme mariée dont le mari travaille au dehors, assure la vie, n’a qu’à faire sa cuisine, son ménage, et envoyer les enfants à l’école. Elle est exempte de soucis. Lorsque son homme revient le soir à la maison, elle lui donne à manger et ils causent. Ainsi, chaque jour, ils vivent à côté l’un de l’autre et s’entraident. Évidemment, il y a des moments où tout ne marche pas comme l’on voudrait, mais cela passe et la bonne humeur revient.

Elle, la veuve Rendon, si son mari avait vécu, sa destinée aurait été bien différente. Elle aurait passé ses jours dans l’aisance et n’aurait jamais connu les misères qu’elle endure aujourd’hui. Maintenant, elle y songe, elle songe à cela qui ne lui était jamais venu à l’idée auparavant, c’est que son mari, Armand Rendon, elle l’a très peu connu. Il était constamment sur la route, à travers le pays, à vendre des marchandises. De ci, de là, il passait une couple de jours à la maison puis il repartait. Après toutes ces