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LE DESTIN DES HOMMES

prit la feuille et lut. Une expression de surprise parut sur sa figure, puis il se mit à rire.

— Ce n’est pas pour moi, expliqua-t-il en remettant la lettre à la buraliste.

Celle-ci la replaça dans le casier B.

Le lendemain matin, un autre Arthur de la tribu Boisselle passant devant le bureau de poste, entra pour voir s’il y avait quelque communication pour lui.

— Arthur Boisselle ? Oui, il y a une lettre pour vous, répondit la demoiselle du bureau en lui remettant le pli ouvert par le premier Arthur.

— Est-ce qu’il y a quelqu’un qui ouvre les lettres ici ? demanda-t-il d’un ton agacé.

— C’est un autre Arthur Boisselle qui l’a ouverte.

Alors il se mit à lire. Ce n’était pas pour lui. Sa blonde, à celui-ci, trouvait qu’il ne venait jamais assez souvent à la maison et elle insistait toujours pour le retenir lorsqu’il voulait partir.

— C’est pour un autre, fit-il en remettant la lettre à la maîtresse de poste.

Les deux Arthur, qui n’avaient pas la langue dans leur poche, ne tardèrent pas à faire courir la nouvelle qu’un Arthur Boisselle, qui n’était pas eux, avait reçu son congé de sa blonde.

Le véritable destinataire de la lettre la reçut le soir. Il se trouva extrêmement peiné, humilié et mortifié.

Depuis le matin, la nouvelle de sa mésaventure courait parmi la jeunesse du village et, pendant quelques jours, le pauvre Arthur ne rencontrait que des figures railleuses et chacun au passage lui décochait un quolibet :

— Pis, les amours, ça marche toujours, Arthur ?

— Comment est ta blonde ? De bonne humeur ?