Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/213

Cette page a été validée par deux contributeurs.
211
LE DESTIN DES HOMMES

tion et s’était fait habitant comme son père. La marchande était à ce moment dans un pénible dénuement mais elle se dit que si elle épousait ce brave homme, elle deviendrait fermière, devrait traire les vaches, faire le beurre, élever des poulets et, à table, manger du gros lard. Non, elle préférait rester veuve et vivre sa vie de solitaire.

À quelques jours de là, une dame de la ville qui avait loué une petite maison à Lavoie pour y passer l’été, entra avec sa fillette de huit ans dans le magasin de la veuve Rendon pour y faire une menue emplette. Comme elle s’attardait à bavarder, la marchande lui fit part de la demande en mariage qui lui avait été faite.

— Vous avez bien fait de refuser, affirma la dame. Si vous voulez vous marier, vous pourrez facilement trouver mieux qu’un habitant.

— Moi, fit la fillette d’un ton décidé, quand je serai grande, je me marierai. Mais mon mari, je le conduirai ; il fera ce que je lui dirai de faire. Et, un jour, je lui enfoncerai un couteau dans le dos ou dans le ventre.

Et la dame sourit à cette déclaration et regarda l’enfant avec complaisance.


L’amitié entre la veuve Rendon et la mairesse s’était bien refroidie depuis que la première était revenue au village. Sans motif, sinon que les deux femmes n’étaient plus maintenant sur un pied d’égalité. Tant que Mme Rendon avait été prospère, les relations avaient été des plus cordiales mais maintenant que la marchande menait une existence précaire tandis que Mme Dorion continuait de jouir de l’abondance et de la sécurité, une grande gêne était survenue entre les deux voisines. Très fière, la veuve Rendon souffrait de l’humiliation de se sentir si pauvre tandis que la mairesse était mal à l’aise devant la misère