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LE DESTIN DES HOMMES

— Non. C’est maman qui nous dit quoi demander.

— Elle vous recommande de prier pour que vos parents restent toujours en santé ?

— Pas une miette, déclare l’aîné des garçons. Lundi, elle nous a dit de prier pour que la vache vêle au plus tôt. On n’a pas de lait à la maison et maman voudrait nous en faire boire.

— Pis mardi, continue son frère, elle nous a dit de prier pour que la poule blanche ait une couvée de beaux petits poulets.

— Mercredi, reprend l’aîné, elle nous a recommandé de prier pour que la truie ait une bonne portée de petits cochons. On en élèverait un et on vendrait les autres.

— Hier, continue le cadet, elle nous a dit de prier pour qu’elle trouve assez d’argent pour s’acheter un gramophone.

Puis en chœur, les deux gamins proclament : Ce matin elle nous a dit : Priez bien fort pour que votre père ne se saoule pas samedi.

Là dessus les deux galopins détalent à toute vitesse vers l’autre bout de la rue où les attend le déjeuner, laissant la veuve Rendon toute ahurie.


La Coopérative est pour ainsi dire le centre des affaires du petit village. Presque chaque jour, plutôt le matin, quatre ou cinq voitures d’habitants arrêtent devant la porte de l’édifice. Les hommes y entrent. Leurs femmes qui les accompagnent souvent se rendent à côté, au magasin de la veuve Rendon. C’est pour elles une salle d’attente, mais elles n’achètent presque jamais, car elles n’ont pas d’argent. Tout le monde est pauvre. Un jour, elles étaient six réunies là et tout ce que la marchande a vendu, c’est