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LE DESTIN DES HOMMES

— Si vous pouvez en acheter à ce prix-là, ne négligez pas l’occasion. Je suis sûre que si Gendron en a, il les vend plus cher que moi.

— Comme je vous l’ai dit, je ne veux pas payer plus qu’une piastre et dix.

— Je regrette. Avez-vous besoin d’autre chose.

— Non. Bonjour, madame.

Ce marchandage de la boulangère n’était qu’un prétexte pour faire parler la veuve Rendon et inventorier son fond de marchandises.

Naturellement, les villageoises étaient curieuses de voir celle qui, pendant des années avait été l’amie de la mairesse et une grosse dame maintenant réduite à tenir un petit commerce dans le village de Lavoie.

— Êtes-vous allée au magasin de la veuve Rendon ? demandait Mme Marceau, la femme du menuisier à Mme Aumont, l’épouse du boucher.

— Non, pas encore, mais je veux aller voir ce qu’elle a fait venir. J’ai vu passer la voiture comme je me rendais au bureau de poste, et les messagers descendaient deux caisses. Il me semble que ce n’est pas grand’chose pour prendre magasin.

— C’est un changement, hein ? Elle qu’on ne voyait jamais avec la même robe, en être réduite à tenir une magasinette.

Paraît que, pendant longtemps, elle gagnait $2,000 par année. Pensez-vous que c’est vrai ça, Mme Marceau ?

— Ben, j’vas vous dire. Je le crois sans peine, car elle portait de la toilette dans le temps. Vous me croirez si vous voulez, mais un automne, je lui ai vu porter cinq manteaux différents.

— Deux mille piastres ! Je me demande ce qu’elle pouvait faire pour gagner deux mille piastres.