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LE DESTIN DES HOMMES

place une douzaine de fois au moins. Un jour, elle décrocha dans un bureau du gouvernement un emploi qui lui donnait deux mille piastres par année. Le sort lui avait donné là une vraie chance. Toutefois, elle n’était pas plus riche lorsqu’arrivait la saint Sylvestre. Elle avait tout dépensé, tout gaspillé. Jamais de sa vie, elle avait pu mettre un sou de côté. Tout passait en toilettes, en folles dépenses.

Parlant parfois du prix de certaines denrées alimentaires, elle s’exclamait : C’est écœurant comme c’est bon marché !

Chaque année, elle allait passer ses vacances à sa vieille maison de Lavoie. Même, elle y retournait de temps à autre en fin de semaine, bien que ces voyages représentassent une assez forte dépense. Lorsqu’elle obtint sa place au salaire de deux mille piastres, pendant toute la belle saison, elle partait chaque samedi pour Lavoie et revenait le lundi matin. Même l’hiver, elle y retournait pour la fête de Noël. À cette occasion, enveloppée d’un nouveau manteau, d’une robe neuve et coiffée d’un chapeau qu’elle venait de choisir, elle arrivait chez le maire les bras chargés de cadeaux qu’elle déposait sur un coin de la table. Elle embrassait son amie la mairesse, puis saisissant l’un des paquets attaché avec un étroit ruban multicolore et orné d’emblèmes colorés de Noël : « Voici pour vous avec mes meilleurs souhaits », disait-elle. Prenant ensuite les boîtes l’une après l’autre : « Pour toi, Adrienne, pour toi André, pour toi, Jules, pour toi, mon petit Charles ». Tout joyeux, les quatre enfants développaient leurs colis et s’extasiaient sur les présents reçus.

— Bon, maintenant, je me sauve chez moi, faisait-elle. Ça me fait bien plaisir de vous voir, mais j’ai hâte d’entrer dans ma maison.