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LE DESTIN DES HOMMES

qui, à cet endroit, était coupée à pic et formait comme une haute muraille. En avant était un grand jardin potager. « J’aimerais ça vivre ici », déclarait un jour la fille à sa mère.

— Oui ? je me demande ce que tu ferais l’automne lorsqu’il commence à faire sombre à quatre heures, et l’hiver, alors que tu es enneigée dans ta maison. Tu trouverais les journées longues.

Deux ans plus tard, une pneumonie emportait la vieille femme. La fille héritait de la pauvre maison. Une couple de villageois lui offrirent de l’acheter mais elle refusa de la vendre. « Je viendrai faire de petits séjours ici pendant la belle saison », répondit-elle.

Mme  Rendon était mariée depuis quatre ans. Elle menait une existence facile et confortable, car son mari gagnait largement sa vie. Un automne, il partit avec deux amis pour faire la chasse aux canards mais se noya au cours d’une soudaine tempête qui fit chavirer leur canot. Ses deux copains échappèrent miraculeusement à la mort. Le défunt laissait une assurance de cinq mille piastres à sa veuve.

Pendant les premiers mois qui suivirent ce douloureux événement, Mme Rendon resta comme cloîtrée dans sa maison, puis elle éprouva un jour le besoin de se distraire. Donc, elle prit le train et se rendit en Floride où elle passa six semaines à Miami Beach. Lorsqu’elle revint, elle avait laissé sa peine et ses regrets sur le sable de la plage et le vent les avait emportés au large de la mer. Cela lui avait fait du bien de changer d’horizon. Alors, au printemps, elle vendit ses meubles, remit sa maison et s’acheta un billet de passage pour l’Angleterre. Elle traversa l’océan, rêve qu’elle caressait depuis longtemps, et vécut un mois à Londres.